Tout d’abord, il y a cette injonction au fait de devenir mère à tout prix. Afin de ne surtout pas rater ce que beaucoup appellent « la plus belle aventure de leur vie ». Ces paroles, bien qu’elles soient sincères pour certaines, peuvent faire culpabiliser les mères ne vivant pas l’expérience comme telle. Une fois le pas sauté, deuxième injonction : ne pas avoir le droit de regretter le fait de l’être devenue. Mise en lumière d’un sujet qui, peu à peu, sort de l’ombre : le regret maternel.
Un diktat maternel très ancré
La psychologue et psychanalyste Fabienne Sardas a travaillé des années dans une maternité parisienne. À ce jour, elle reçoit toutes sortes de patient.e.s, mais essentiellement des mamans. En 2015, elle a écrit un livre sur la difficulté d’être mère intitulé Maman blues : Du bonheur et de la difficulté de devenir mère. Dans un podcast du Monde paru en avril 2022, elle explique que ce diktat découle souvent de la nécessité de réussir. Elle précise bien que la maternité n’est pas une promesse de bonheur, bien au contraire. « Cette société patriarcale, incitative, nataliste, accentue énormément la pression sur les femmes ».
Astrid Hurault de Ligny, a elle aussi sorti un livre sur le même sujet en septembre 2022 : Le regret maternel, dans lequel elle verbalise son mal-être et ses réalisations depuis qu’elle est devenue mère à son tour. À l’occasion de sa sortie, dans un podcast de RadioFrance, elle décrit avec délicatesse ce qu’elle voit comme un avertissement. « La maternité est tellement sacralisée aujourd’hui que je pense que c’est très compliqué pas tant de le dire, mais que les gens l’entendent. Pour eux, c’est impensable. Parce que la maternité, c’est que du bonheur de toute façon ».
Pourtant, toutes ces femmes en proie à ce mal-être sont unanimes. Ce ne sont pas leur.s enfant.s qu’elles regrettent : l’amour qu’elles lui/leur portent est éminemment présent. C’est bien ce rôle, cette constance, ce « pour toujours », ce décalage avec ce qu’elles avaient imaginé qui les tétanisent, les menant, plus ou moins rapidement, au sentiment de regret. Heureusement, avec les années, le rapport à la maternité change doucement.
Le regret maternel : briser le tabou
Dans une société qui ne permet pas encore assez son expression, celles qui parviennent à parler de ce tabou à visage découvert font preuve d’un courage démentiel. Non pas pour décourager, ni pour angoisser à l’avance celles qui le désirent. Plutôt pour donner une place à cette éventualité, afin de ne pas la refouler si elle arrive. Car elle est humaine, bien qu’encore trop taboue.
En décembre 2022, dans un épisode de 28 minutes d’Arte, Laure Calamy, actrice principale du film À plein temps, relate des paroles qu’avaient prononcées Anémone en 2011 dans une interview de France info. Ces propos l’ont beaucoup marquée : « Je n’aurais pas eu d’enfants, j’aurais été beaucoup plus heureuse. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est absolument pas indispensable au bonheur contrairement à ce qu’on nous met dans la tête ». Laure Calamy trouve scandaleux qu’en prononçant ces mots, Anémone ait, à l’époque, autant indigné l’opinion publique. En ajoutant que « si un homme disait ça, ça ne choquerait sûrement pas autant ».
Astrid Hurault de Ligny, citée plus haut et qu’on citera encore, reprend presque ces mots précurseurs dix ans après. Encore une fois, elle décrit, sincèrement, un ressenti nuancé : « Je ne crois pas avoir été pleinement heureuse, encore moins depuis que je suis mère. J’aime mon enfant plus que tout au monde, mais il n’est pas question d’amour ici, c’est ce rôle de mère que je regrette. Avec toutes les connaissances que j’ai aujourd’hui sur la maternité, si je pouvais remonter dans le temps, je choisirais de ne pas avoir d’enfant ».
Un mal-être féminin bien plus commun qu’il n’en a l’air
Pour Konbini, Astrid explique aussi la différence avec la dépression postpartum, qui est une maladie qui se soigne. Le regret, lui, est un ressenti. Il est possible de l’apaiser, faire en sorte de vivre avec. Il peut s’estomper, voire disparaître, mais aucun médicament magique ne peut être prescrit pour le guérir.
Elle explique aussi, de manière plus pragmatique, la matrescence. Ce phénomène n’est autre qu’un processus chimique dans le cerveau, qui apparaît lorsque la personne devient maman. Ce dernier change de manière incontrôlable : en d’autres termes, on devient quelqu’un d’autre. Chaque mère compose comme elle peut avec la découverte de celle qu’elle devient.
Les témoignages se libérant de plus en plus, un documentaire est paru en 2021 sur Arte : Mal de mère. Avec beaucoup de courage, Julie, 36 ans, pose des mots face caméra sur sa souffrance, et raconte le jour de la naissance de son fils. Elle s’est instantanément rendu compte que ce rôle-là ne l’épanouirait pas. Elle s’est écroulée, à l’autre bout du berceau, en se disant littéralement ces mots « mais qu’est ce que j’ai fait ? pourquoi ? c’est affreux d’avoir fait ça ». Son regret ne s’est, depuis, jamais dissipé. Julie, toujours face caméra, pose une question théorique – ou une vraie question – : « à qui on peut en parler ? La première nuit on ne peut pas dire à quelqu’un qu’en fait, on s’est trompée. C’est trop tard ». Avec franchise, elle explique ne supporter ni les contraintes horaires, ni les sorties d’écoles, ni de faire des gâteaux, et encore moins de jouer.
Sortir du silence pour aller mieux et aider d’autres mères
À la terrible phrase « fallait y penser avant », on pourrait répondre que comme pour toute autre situation de la vie, il est presque impossible d’imaginer les choses avant de les avoir vécues au quotidien. En mettant des mots sur leurs maux, ces mères en souffrance tentent également de se défaire d’une culpabilité difficile à endurer. Il nous faut admettre que ce rôle a trop souvent été enjolivé, que perdurent beaucoup d’idées toutes faites, susceptibles de s’effondrer le jour où on doit les expérimenter soi-même.
Cette parole sert à déconstruire un discours ne s’appliquant pas à toutes les femmes de cette planète. À préparer les petites filles au fait que si elles ne se sentent pas « faites pour donner la vie », il faudra s’écouter. Et que, dans le cas où elles étaient persuadées l’être, mais qu’une fois le pas sauté, elles le vivraient mal, ce ne sera en aucun cas leur faute. En somme : donner la place à cette éventualité.
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